La prime d’assistant de soins en gérontologie dans la fonction publique territoriale : le développement de l’implication affective par l’application de la théorie du pouvoir de l’expert
L’implication[1] est généralement considérée comme une force stabilisatrice qui oriente les comportements. Elle traduit une réponse affective du salarié par rapport à une cible spécifique. Elle représente donc le lien perçu entre un employé et une cible particulière. L’individu peut être impliqué envers différentes cibles dont les principales sont le poste, la profession, l’organisation et le syndicat. En l’espèce il s’agit d’étudier les outils permettant l’implication envers l’organisation car c’est la clé du succès organisationnel.
Trois mécanismes sont à l’œuvre dans l’implication organisationnelle :
- L’identification qui apparait lorsqu’un individu accepte de s’engager dans une relation avec l’organisation, car il se sent fier de faire partie du groupe, de respecter ses valeurs.
- L’internalisation caractérisée par la cohérence entre les attitudes et comportements sollicités par l’organisation et les valeurs de l’individu.
- La soumission qui renvoie à l’adoption par les individus des attitudes et comportements souhaités par l’organisation en raison des gains qui y sont attachés.
Le lien que l’individu peut avoir avec son organisation peut être de différente nature :
- Affectif : le lien de l’individu avec son organisation dépend d’une identification et d’un attachement émotif à celle-ci
- Normatif : le lien de l’individu avec son organisation dépend d’un sentiment d’obligation envers celle-ci
- Calculé : le lien de l’individu envers son organisation dépend de la nécessité pour l’individu d’être attaché à celle-ci
L’objectif pour toute direction médico-sociale est de travailler sur les outils permettant de maintenir l’implication affective du personnel, car c’est cette dernière qui a davantage d’effet bénéfique sur la performance au travail. Or le secteur des maisons de retraite est basé avant tout sur le capital humain.
Pour y parvenir, et d’un point de vue de la mise en place d’un GRH stratégique, les directions peuvent mettre en place une stratégie de différenciation par l’innovation au travers de la politique de rémunération notamment via la prime d’assistant de soins en gérontologie (prime ASG).
Une possibilité offerte par la Plan Alzheimer pour les aides-soignantes :
Le Plan Alzheimer 2008-2012 prévoit une série de mesures destinées à développer les compétences des personnels intervenant auprès des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer et de maladies apparentées. C'est dans ce cadre que le Plan a proposé la création d'une nouvelle fonction d'Assistant de Soins en Gérontologie accessible par la formation continue. « La fonction consiste en une assistance dans les actes de la vie quotidienne des personnes fragilisées par la maladie d'Alzheimer (et/ou de troubles apparentés) et de leur entourage. En mobilisant les connaissances disponibles, il réalise les soins d'hygiène et de confort adaptés, il accompagne et aide les personnes dans les actes essentiels de la vie, participe à la réhabilitation et la stimulation des capacités, établit une relation d'empathie, attentive et sécurisante pour limiter les troubles du comportement, prévenir les complications et rompre l'isolement. Les aides-médico-psychologiques et les aides-soignants peuvent ainsi percevoir une prime de 90 € s’ils ont suivi une formation spécifique et sous réserve de conditions particulières d’exercices. La fonction d’assistant de soins en gérontologie n’est possible que pour les aides-soignants, les aides médico-psychologiques et les auxiliaires de vie sociale. Le montant de cette prime est fixé proportionnellement au temps consacré à l’exercice de cette fonction.
Cette formation est d’une durée de 140 heures et vise à l’acquisition des compétences prévues par le référentiel de compétences et d’activités. Elle est organisée en périodes discontinues avec une alternance entre la formation et l’exercice professionnel, sur une amplitude de 12 mois maximum » [2].
Les problématiques :
Le dispositif a été initialement créé pour la fonction publique hospitalière :
Les principales dispositions réglementaires qui déterminent la prime pour les assistants de soins en gérontologie relève de la fonction publique hospitalière[3], toutefois les textes sont appliqués à la Fonction Publique Territoriale au regard d’une réponse ministérielle qui va dans le sens du parallélisme entre les trois fonctions publiques (réponse ministérielle du 05/03/2013 à cette problématique). Ainsi il ressort que les auxiliaires de soins territoriaux sont assimilés aux corps des aides-soignants et des agents des services hospitaliers qualifiés civils du ministère de la défense, lesquels bénéficient des mêmes dispositions indemnitaires que les personnels soignants de la fonction publique hospitalière.
Par conséquent, la prime versée aux assistants de soins en gérontologie de la FPH[4] est également accessible aux auxiliaires de soins territoriaux suivants les mêmes dispositions que le décret n°2010-681 du 22/06/2010 qui l’institut, sous réserve d’une délibération de la collectivité.
Les EHPAD territoriaux ont pour OPCO le CNFPT[5] (qui gère les fonds du secteur de la Fonction Publique Territoriale) qui ne finance pas ou très rarement ce cursus pédagogique. Le coût pédagogique est en moyenne selon les écoles à 1800 euros, hors coût du remplacement. Il peut être financé par l’Agence Régionale de Santé et le coût du remplacement peut être limité par une logique de co-investissement, c'est-à-dire une formation pour partie hors temps de travail par le salarié. Cette technique de co-investissement peut également relever d’un « faisceau d’indice » de l’attachement du salarié à la structure, et donc de son engagement affectif. Un engagement de servir (qui correspond à une clause de dédit formation pour le secteur privé) qui est davantage moral, entre l’institution et le salarié, s’agissant d’une formation qualifiante et non diplômante, peut permettre de « sceller », par écrit certaines obligations.
Les conditions d’exercices peuvent permettre d’impliquer le personnel dans un projet, mais nécessitent l’accord des autorités de contrôles
Cette prime est versée aux auxiliaires de soins détenteurs d’une attestation de suivi de l’intégralité de la formation spécifique à la fonction d’assistant de soins en gérontologie et exerçant cette fonction dans une unité d’hébergement renforcée, un pôle d’activité et de soins adaptés ou une équipe spécialisée pour la prise en charge des patients atteints de la maladie d’Alzheimer, d’un service de soins infirmiers à domicile.
Si l’établissement ne dispose pas d’unité spécifique dans lequel le personnel intervient, la prime ne peut pas être versée. La mise en place de ces unités spécifiques requiert l’autorisation souvent conjointe des autorités de contrôles (Conseil Départemental et Agence Régionale de Santé).
L’impact de cette gestion des rémunérations
s Enrichir : au vu de l’indemnisation « importante » de cette prime.
s Impliquer : alors que les dispositifs précédents semblent davantage clairs sur la nature de l’implication, cette dernière est davantage difficile à mettre en place au titre de l’implication normative ou affective.
Une possible implication affective mais avec risque d’implication calculée
Les caractéristiques du poste, qui influencent l’engagement affectif des employés, sont basées sur un travail axé sur des tâches variées, car l’accompagnement de personnes atteintes de la Maladie d’Alzheimer est caractérisé par « une gestion de l’imprévu » et requiert autonomie et responsabilité pour le personnel aide soignants et une inventivité certaines. Cet accompagnement peut être une réponse offerte par la Résidence pour le salarié afin qu’il réponde à ses besoins d’autonomie et de développement des compétences.
Toutefois, l’octroi de cette prime au vu du montant élevé, soit 90 euros brut, s‘il est perçu simplement comme un enrichissement, peut amener le salarié aide-soignant titulaire de cette prime (que les autres établissements ne versent pas systématiquement) d’être dans le cadre d’un engagement de continuité ou calculé.
Il conviendrait de travailler sur une théorie qui permettrait d’impacter l’engagement des salariés concernés au niveau des compétences. La théorie du pouvoir de l’expert pourrait y répondre. Selon cette théorie « le pouvoir d’expert découle d’une caractéristique individuelle qui est liée à l’acquisition de compétences techniques ou scientifiques peu communes, ou une connaissance des processus administratifs acquise par une grande expérience. Ces personnes eu égard à leurs connaissances ou à leurs expériences, ont la capacité de façonner le comportement d’autrui, si ces derniers acceptent de se laisser influencer, en fonction de la qualité des conseils ou des recommandations qui leurs sont formulés. Ainsi le fait de reconnaitre une quelconque expertise chez un collègue permet à ce dernier d’avoir une incidence marquante sur nos comportements en fonction des recommandations qu’il formulera »[6].
Appliquée à la problématique de la prime d’assistant de soins en gérontologie aux aides- soignants, cette théorie peut s’entendre en la reconnaissance d’une expertise dans le domaine de l’accompagnement au quotidien de la Maladie d’Alzheimer. Il ne suffira pas au directeur de « décréter » par une note de service, que les titulaires de cette formation et de cette prime sont experts, une reconnaissance par des faits et des actes forts devra s’opérer (invitation à des colloques spécifiques, demande de conseils et suivi du conseil…). La mise en place progressive de la fonction d’assistant de soins en gérontologie peut également permettre aux salariés qui ne disposent pas encore de cette formation de s’apercevoir du positionnement de leurs collègues. Les salariés relevant d’autres catégories professionnelles, qui ne sont pas ciblés par cette prime peuvent, eux, s’apercevoir que le style de leardership favorise la reconnaissance et le développement des compétences.
Conclusion : La mise en place de cette prime en travaillant autour de la théorie du pouvoir de l’expert peut avoir pour avantage de développer un engagement normatif ou affectif pour les salariés concernés par la prime. Normatif, car ces derniers pourraient analyser comme une trahison envers leur établissement s’ils quittaient l’institution qu’il leur permet de reconnaitre leurs savoirs, ou bien -même en cas de proposition de poste, ces derniers ne trouveraient pas correct de quitter l’organisation. Affectif, si ces derniers développent un sentiment de fierté d’appartenir à l’établissement en raison du caractère innovant de la démarche managériale.
Sylvain GUILLAUME
Directeur d’EHPAD, Formateur en Gestion des Ressources Humaines
[1] Définition, cours de comportement organisationnel, Master 2 Ressources Humaine, Université Toulouse 1 Capitole, 2014
[2]https://infosdroits.fr/la-prime-d’assistant-de-soins-en-gerontologie.
[3]Plan Alzheimer 2010 : mesure 20 dédié au développement des métiers et des compétences spécifiques pour la maladie d’Alzheimer. Décret 2010-681 du 22 juin 2010 portant attribution d’une prime aux aides-soignants et aides médico-psychologiques exerçant les fonctions d’assistant de soins en gérontologie dans la fonction publique hospitalière. Arrêté du 22 juin 2010 fixant le montant de la prime aux aides-soignants et aides médico-psychologiques exerçant les fonctions d’assistant de soins en gérontologie dans la fonction publique hospitalière. Arrêté du 23 juin 2010 relatif à la formation préparant à la fonction d’assistant de soins en gérontologie.
[4]FPH : Fonction Publique Hospitalière.
[5]CNFPT : Centre Nationale de la Fonction Publique Territoriale.
[6]Simon L, Dolan L, Gosselin E et Carrière L, Psychologie du travail et comportement organisationnel, 4ème édition, Gaetan Morin éditeur, Canada, 2012.